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12-De la violence

I-12. De la violence et de la bagarre

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{29} 1. Aujourd'hui, très chers frères, vous allez entendre un exposé sur la ruine, la honte et la malhonnêteté générées par les disputes, les conflits et les discussions ; dans le but de vous faire voir, comme dans un tableau qui serait peint devant vos yeux, la perversité et la déviance de ce vice très détestable, au point que vous en aurez un haut-le-cœur et en viendrez à détester et abhorrer ce péché très haïssable, pernicieux et dommageable à tous.

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Parmi toutes les sortes de disputes, aucune n'est plus dommageable que la dispute en matière de religion. « Évitez », dit St Paul, « les questions des insensés et des ignares, sachant qu'elles engendrent des conflits. Il ne convient pas à un serviteur de Dieu de se disputer » ou de se bagarrer « mais d'être doux envers tous les hommes ». Ces disputes et ces bagarres étaient habituelles aux Corinthiens, à l'époque de St Paul, et elles le sont encore aujourd'hui. Car trop de gens, alignés aux comptoirs à bière ou ailleurs, aiment lancer des débats sur certaines questions, pas tant pour l'édification que pour la vaine gloire, l'ostentation, et la ruse, afin de raisonner et de discuter hors de toute sobriété ; et comme aucun parti ne veut céder à l'autre, les voix s'élèvent, et parfois ils joignent le geste à la parole et les choses ne font qu'empirer. St Paul ne supportait pas d'entendre les Corinthiens débattre et se disputer : « Je suis pour Paul, moi pour Cephas, et moi pour Apollos ». Que dirait-il donc s'il entendait ces mots aigres qui sont dans la bouche de tous les hommes : « C'est un Pharisien, c'est un protestant, c'est un progressiste, c'est un rétrograde, c'est un néophyte, c'est un bon père catholique, c'est un papiste, c'est un hérétique » ? Oh, comme l'Église est divisée ! Oh comme la robe sans couture de Christ est déchirée et en lambeaux ! Ô, corps mystique de Christ, où est cette joyeuse et sainte unité hors de laquelle personne n'est en Christ ? Si un de ses membres est arraché aux autres, que reste-t-il du Corps ? Si le corps est séparé de la tête, où est la vie du corps ? Nous ne pouvons pas être unis à Christ notre tête, sauf si nous sommes unis les uns aux autres par la concorde et par la charité. Car celui qui n'est pas dans cette unité n'appartient pas à l'Église de Christ, qui est une congrégation ou une union, et non pas une division.

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St Paul a dit que « aussi longtemps que la jalousie, les disputes et les factions sont parmi nous, nous sommes charnels et nous marchons selon l'homme charnel ». Et St Jacques dit : « Si vous ressentez dans vos cœurs de l'amertume, de la jalousie et de la rancune, ne vous en vantez pas. Car là où il y a de la dispute, il y a du trouble et les démons sont à l'œuvre ». Et pourquoi n'écoutons-nous pas St Paul, qui nous prie, alors qu'il pourrait nous commander, en disant : « Je vous supplie, au Nom de notre Seigneur Jésus-Christ, de vous accorder afin qu'il n'y ait pas de dissensions parmi vous, mais que vous soyez un seul corps, un seul esprit et d'une seule opinion » dans la vérité. Si son désir est raisonnable et honnête, pourquoi ne pas le satisfaire ? Si sa requête est à notre avantage, pourquoi nous y refuser ? Et si nous ne voulons pas entendre sa demande ou sa prière, écoutons au moins son exhortation, dans laquelle il dit : « Je vous exhorte à marcher comme il convient à votre vocation, en toute soumission et douceur, avec un esprit calme et serein, vous supportant les uns les autres par charité, cherchant les moyens de garder l'unité de l'Esprit par le lien de la paix, car il n'y a qu'un seul corps, un seul Esprit, une seule foi, un seul baptême ». Il y a, dit-il, un seul corps, hors duquel aucun membre ne peut vivre en ayant dévié des autres membres. Il y a un seul Esprit qui rassemble et lie toutes choses dans l'unité, et comment cet Esprit unique peut-il régner en nous si nous sommes divisés ? Il n'y a qu'une seule foi, et comment pouvons-nous dire « sa foi est passéiste » ou « il est progressiste » ? Il n'y a qu'un seul baptême, et tous ceux qui sont baptisés ne sont-ils pas Un ? Les disputes causent les divisions, lesquelles ne devraient pas exister entre Chrétiens que la même foi et le même baptême ont rassemblés dans l'unité. Mais si nous méprisons la requête de St Paul et son exhortation, respectons au moins sa supplication par laquelle il nous reprend sérieusement et, si je puis dire, nous conjure de la façon suivante : « S'il y a une quelconque consolation en Christ, s'il y a un quelconque réconfort dans l'amour, si vous êtes en communion avec l'Esprit, si vous avez tant soit peu de sentiments de pitié et de compassion, mettez ma joie à son comble, en ayant les mêmes sentiments, en partageant une seule charité, une seule pensée, une seule opinion, afin que rien ne soit fait dans la dispute ou pour la vaine gloire ». Qui est-il celui qui a tant soit peu de sensibilité et de pitié qu'il n'est pas ému par ces paroles si concises ? Dont le cœur est si dur que le mordant de ces paroles, plus aiguisées qu'une épée à deux tranchants, ne puisse pas le couper et le mettre en pièces ? C'est pourquoi, faisons l'effort de mettre la joie de St Paul à son comble, ici-même, ce qui deviendra à la longue notre grande joie dans un autre lieu.

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Lisons l'Écriture de telle manière qu'en la lisant nous vivions d’une façon meilleure, plutôt que de devenir de pires discutailleurs et bagarreurs. Si une chose doit être enseignée, discutée ou débattue, faisons-le en toute douceur, calme et sérénité. Si par hasard il en est autrement, que chacun supporte la fragilité de l'autre. Celui qui est en faute, qu'il s'amende plutôt que de défendre ce qu'il a dit à tort, afin de ne pas tomber par une discussion [stérile], d'une erreur insensée dans une hérésie obstinée. Car il est mieux de céder avec douceur que de remporter une victoire en violant la charité, ce qui arrive quand un homme veut défendre son opinion opiniâtrement. Si nous sommes Chrétiens, pourquoi ne pas suivre Christ, qui a dit : « Apprenez de moi, car je suis doux et humble dans le cœur » ? Un disciple doit apprendre la leçon de son maître d'école et un serviteur doit obéir au commandement de son maître. « Celui qui est sage et instruit », dit St Jacques, « qu'il montre sa bonté par sa bonne conversation et par la sobriété de sa sagesse. Car là où il y a de la jalousie et de la discorde, cette sagesse-là ne vient pas de Dieu, mais c'est une sagesse mondaine, humaine et diabolique. Car la sagesse qui vient d'en-haut », de l'Esprit de Dieu, « est chaste » et pure, indemne de toute affection mauvaise ; elle est calme, douce et pacifique, elle abhorre tout désir de bagarre ; elle est docile, obéissante, elle ne refuse pas d'apprendre ni de céder à ceux qui enseignent mieux, dans le but de les corriger. Car il n'y aura jamais de fin à la lutte et au débat, si nous débattons avec de meilleurs débatteurs que nous, et qui auront toujours le dessus ; nous accumulerons erreur sur erreur si nous continuons à défendre obstinément ce que nous avons proféré sans réfléchir. Car la vérité est que maintenir son opinion avec raideur engendre la lutte, la bagarre et la réprimande, ce qui est un vice très pernicieux et pestilentiel entre tous, propre à détruire la paix et la tranquillité communes.

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Et comme cela arrive entre deux personnes de partis différents (car habituellement nul homme ne se bagarre tout seul), cela comprend deux très détestables vices. L'un cherche la querelle avec des mots durs et menaçants, l'autre se dresse contre lui en répondant et en multipliant les paroles mauvaises à son tour. Le premier est si abominable que St Paul a dit : « Si un soi-disant frère est un idolâtre, un bagarreur » ou un querelleur, « un voleur » ou un escroc, « veillez à ne pas même manger avec un tel homme ». Ici, St Paul dénombre un batailleur, un bagarreur ou un querelleur parmi les voleurs et les idolâtres. Et souvent un voleur fait moins de mal qu'une langue acérée, car celui-ci enlève la bonne réputation d'un homme, tandis que celui-là n'emporte que ses biens, qui sont de moindre valeur et estime que sa réputation. Et un voleur ne fait de mal qu'à celui qu'il a volé, mais celui qui a une mauvaise langue trouble toute la ville où il habite et parfois le pays tout entier. Et une langue acérée est une maladie si contagieuse que St Paul voulait que les Chrétiens fuient la compagnie de telles gens, et ne pas manger ni boire avec eux. Et alors qu'il ne veut pas qu'une Chrétienne abandonne son mari, même s'il lui est infidèle, ni qu'un serviteur chrétien ne quitte son maître infidèle et païen, et qu'il tolérait qu'un Chrétien tienne compagnie à un infidèle, il nous a cependant interdit de manger ou boire avec un batailleur ou un querelleur. Et aussi, dans le 6ème chapitre de sa 1ère aux Corinthiens, il dit ceci : « Ne vous y trompez pas, car ni les voleurs, ni les ivrognes, ni les diffamateurs, n'habiteront dans le royaume des cieux ». Ce doit être une faute grave que celle qui pousse un père à déshériter son fils légitime, et comment pourrait-il en être autrement, si cette diffamation est un péché si grave qu'elle pousse Dieu, notre Père très miséricordieux et très aimant, à nous priver de Son royaume des Cieux, béni ?

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Et contre l'autre péché qui consiste à répliquer en répondant insulte pour insulte, Christ lui-même a dit : « Ne résistez pas au mal, mais aimez vos ennemis, et dites du bien à ceux qui vous disent du mal; faites du bien à ceux qui vous font du mal, afin que vous soyez les enfants de votre Père qui est dans les cieux, qui tolère que son soleil se lève aussi bien pour les justes que pour les injustes ». L'enseignement de St Paul s'accorde très bien avec cette doctrine de Christ, en ce que les élus de Dieu ne cessent pas d'exhorter et d'en appeler à nous, en disant : « Bénissez ceux qui vous maudissent, bénissez-les, et ne les maudissez pas. Ne rendez à personne le mal pour le mal. Si possible, pour autant que cela dépende de vous, vivez paisiblement avec tous ».

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{30} 2. Il vous a été dit dans ce sermon sur les conflits et la bagarre quels grands inconvénients en découlent, et spécialement des disputes en matière de religion, et que, quand personne ne cède à l'autre, le débat et la discorde sont sans fin, et que l'unité que Dieu exige des Chrétiens est alors négligée à l'extrême et brisée, et que ces disputes se résument à deux points : chercher querelle et y donner suite.

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Écoutez maintenant ces paroles de St Paul : « Bien-aimés, ne vous vengez pas, mais laissez cela à la colère de Dieu, car il est écrit, 'la vengeance M'appartient, Je vengerai', dit le Seigneur. Si donc ton ennemi à faim, nourris-le ; s'il a soif, donne-lui à boire. Ne soyez pas dominés par le mal, mais surmontez le mal par la bonté ». Toutes ces paroles sont de St Paul.

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Mais ceux qui sont si remplis d'eux-mêmes et si sûrs d'eux qu'ils ne peuvent pas supporter un mot de trop à leur égard, diront peut-être : « Si je suis vilipendé, dois-je rester immobile comme une oie ou un idiot, avec les doigts dans le nez ? Suis-je à ce point idiot et insensé que je doive permettre à tout le monde de me dire ce qu'ils veulent, me retenir quand ils se laissent aller, crachant sur moi tout leur venin à plaisir ? N'est-il pas pertinent qu'on réponde à un impertinent sur le même ton ? Si j'use d'une lénifiante douceur, je vais augmenter l'agressivité de mon ennemi et inciter d'autres à faire de même ». Telles sont les raisons invoquées par ceux qui ne peuvent rien tolérer, pour se défendre de leur impatience. Et cependant, si en répondant durement à quelqu'un qui vous parle durement, il y avait un espoir de remédier à son agressivité, ce serait déjà moins offensant de la part de celui qui répond, non pas par malice ni par colère, mais seulement dans l'intention d'amender son agresseur ; mais si on ne peut amender un autre, ni l'amender sans pécher, mieux vaut qu'un seul périsse plutôt que deux. Si donc on ne peut le calmer avec des paroles aimables, au moins ne le suivons pas dans l'emploi de paroles méchantes et peu charitables. Si on peut le calmer en le faisant souffrir, qu'il souffre, mais sinon, il est préférable de supporter le mal que de faire le mal, de dire du bien plutôt que de dire du mal, car dire du bien en réponse au mal vient de l'Esprit de Dieu, mais rendre le mal pour le mal vient de l'esprit adverse. Et celui qui ne peut pas se calmer ni réguler sa propre colère est un faible ; c'est plutôt une femme ou un enfant qu'un homme fort ; car la vraie force et la virilité est de surmonter sa colère et de traiter les injures et la stupidité des autres par le mépris. Et à côté de cela, celui qui traite par le mépris le tort que son ennemi lui fait, tout le monde le voit et perçoit que ce tort qui lui a été fait n'a pas de motif réel ; tandis qu'au contraire, celui qui s'irrite et fulmine en retour donne raison à son adversaire, et donne à penser que le motif était fondé. Et donc, en nous vengeant du mal qu'on nous fait, nous montrons que nous sommes mauvais, et alors que nous voulions punir et venger la folie d'un autre, nous augmentons et redoublons notre propre folie.

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Mais beaucoup font semblant de trouver que c'est une manière sauvage de couvrir leur impatience. Mon ennemi, disent-ils, ne mérite pas qu'on lui dise des paroles aimables ni qu'on lui fasse du bien, car il est trop malicieux et agressif. Moins il le mérite, plus vous êtes dans les voies de Dieu, et plus vous êtes soumis à Christ, car pour l'amour de Lui vous devez rendre le bien pour le mal, parce qu'Il nous a commandé cela, et Il a mérité que vous le fassiez. Si d'aventure votre prochain vous a offensé en paroles, rappelez-vous par combien de paroles, de mauvaises actions, et graves, vous avez offensé votre Seigneur Dieu ? Où en était l'homme quand Christ est mort pour lui? N'était-il pas Son ennemi, ne méritant pas Sa faveur ni Sa miséricorde ? Même s'il en était ainsi, avec quelle patience et gentillesse vous a-t-Il supporté et toléré, bien que vous L'offensiez chaque jour ! Pardonnez donc une légère offense de votre prochain, afin que Christ vous pardonne vos milliers d'offenses à son égard, vous qui êtes des offenseurs invétérés. Car si vous pardonnez à votre prochain, à celui qui vous a offensé, alors vous avez un gage sûr que Dieu vous pardonnera, Lui qui est offensé par tous, et de toutes les manières possibles. Comment voulez-vous bénéficier de la miséricorde de Dieu, si vous êtes cruel avec votre prochain ? Ne pouvez-vous pas trouver dans votre cœur assez d'énergie pour faire cela à un autre, à votre collègue, alors que Dieu a fait de vous Ses serviteurs ? Un pécheur ne devrait-il pas pardonner à un autre pécheur, voyant que Christ, qui était sans péché, a prié Son Père pour ceux qui  L'ont mis à mort sans pitié ? « Lui qui, quand Il était insulté, n'as pas répondu par l'insulte, et quand Il a souffert à tort, n'a pas menacé ; mais Il a laissé la vengeance au jugement de Son Père, qui juge droitement ».

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Et n'est-ce pas avoir une tête fêlée que de ne pas faire partie du corps ? Vous ne pouvez pas être membre de Christ si vous ne marchez pas dans Ses pas, Lui qui, comme le prophète l'a dit, fut « conduit à la mort comme un agneau », n'ouvrant pas la bouche pour insulter, mais uniquement pour prier pour ceux qui le crucifiaient, en disant : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font». St Étienne a suivi cet exemple de Christ, et St Paul après lui. « On dira du mal de nous », dit-il, « et nous dirons du bien ; nous subissons la persécution et nous la subissons patiemment ; les hommes nous maudissent et nous les traitons avec douceur ». Ainsi, Paul enseignait ce qu'il faisait et il faisait ce qu'il enseignait. « Bénissez ceux qui vous persécutent », dit-il ; « bénissez et ne maudissez pas ». Est-ce une si grande chose que de parler en bien à votre adversaire, vous à qui Christ a commandé de faire le bien ? David, quand Schimei l'a traité de vilains noms, ne l'a pas réprimandé en retour, mais il a dit avec patience : « Laisse-le parler mal, si j'ai la chance que le Seigneur me fasse miséricorde ».

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L'Histoire est pleine d'exemples de païens qui ont pris avec douceur les reproches, les in-jures, et les mauvaises actions contre eux. Et ces païens ont-ils plus de patience que nous qui pro-fessons Christ, Lui qui est le professeur de toute patience par Sa parole et par Son exemple ? Lysandre, quand quelqu'un s'acharnait sur lui en l'insultant, n'en était pas du tout ému, mais il disait : « Allez, allez, dis du mal de moi autant que tu voudras, sans rien omettre ; si d'aventure, tu peux ainsi te décharger de toutes les mauvaisetés dont tu parais rempli ». Beaucoup d'hommes disent du mal de tout le monde, parce qu'ils sont incapables de dire du bien de qui que ce soit. Cet homme sage a ainsi évité les reproches injurieux qui lui étaient adressés, en les imputant à une maladie de son adversaire. Périclès, quand quelque discutailleur ou un bagarreur l'insultait, ne répondait pas un mot, mais il sortait dans le couloir, après quoi, la nuit venant, alors qu'il rentrait chez lui, son agresseur le suivait et l'insultait de plus en plus, voyant que cela ne lui faisait rien ; et après cela, il arrivait à sa porte, à la nuit tombée, et il ordonnait à un de ses serviteurs d'allumer une torche et de raccompagner l'homme chez lui. Périclès n'a pas seulement supporté celui qui l'injuriait avec calme, mais il a aussi payé le mal qu'on lui faisait par un bien, et cela même à son ennemi.

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N'est-ce pas une honte pour nous qui professons Christ, de montrer que nous sommes pires que des païens, sur un point important de la religion de Christ ? Les païens sont-ils mieux instruits par la philosophie que nous par la Parole de Dieu ? Sont-ils plus soumis à la raison naturelle que nous à la religion ? La sagesse humaine les conduit-elle à faire des choses que la doctrine céleste ne parvient pas à nous faire faire ? Quel aveuglement, quelle obstination, ou plutôt quelle folie est-ce là? Périclès, alors qu'il était provoqué à la colère avec un déluge de vilaines paroles, ne répondait pas un mot. Mais nous, étant troublés par un seul petit mot, quelle comédie n'en faisons-nous pas ! Nous fulminons, nous rageons, nous tapons du pied et fixons les yeux comme des fous ! Beaucoup font toute une affaire pour une bagatelle, et, excités par un mot comme par une étincelle, vont allumer un incendie, en prenant tout au pire. Mais combien n'est-il pas mieux, et plus à l'exemple de Christ, de faire d'un grand tort de notre prochain une petite faute, en raisonnant en nous-mêmes de la sorte: « Il a dit cela, mais il était échauffé, ou c'est la boisson qui parlait plutôt que lui, ou il a parlé en ne sachant pas la vérité ; il n'a pas parlé contre moi mais contre celui qu'il croit que je suis ».

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Mais à propos de mauvaises paroles, celui qui est prêt à mal parler aux autres, invitons-le à s'examiner lui-même afin de voir s'il n'est pas la cause du tort qu'il attribue à l'autre. Car c'est une honte de blâmer un autre pour sa propre faute, qu'elle soit égale ou pire encore. C'est une honte pour un aveugle d'accuser un autre d'être aveugle ; et c'est encore plus honteux pour celui qui est totalement aveugle de traiter d'aveugle celui qui est simplement borgne, car c'est voir la paille dans l'œil de l'autre quand on a une poutre dans le sien. Invitons-le alors à considérer que de celui qui dit du mal des autres, il sera dit du mal de lui en retour, et que celui qui dit ce qu'il veut pour son propre plaisir sera contraint d'entendre ce qu'il ne voudrait pas, à son grand déplaisir. De plus, invitons-le à se rappeler que nous « tiendrons compte de chaque parole oisive ». Combien plus tiendrons-nous compte de nos propres paroles acérées, amères, agressives et accusatrices, qui provoquent la colère de notre frère, au détriment de sa charité !

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Et pour ce qui est de répondre en mauvaise part, même si nous sommes provoqués par les mauvaises paroles des autres, nous ne les suivrons pas dans leur agressivité en répondant mal, si nous considérons que la colère est une forme de folie et que celui qui se met en colère est, momentanément, dans une sorte de frénésie. Pour cette raison, laissons-le à son comportement afin que dans sa furie il ne dise quelque chose qu'il pourrait ensuite regretter. Et s'il se défend en disant que sa colère n'est pas furieuse, mais qu'il a raison même s'il est très en colère, alors laissons-le raisonner tout seul quand il est en colère : « Maintenant, je suis ému et bouleversé mais dans un moment j'aurai changé d'humeur ; pourquoi alors dire quoi que ce soit dans ma colère, dont je pourrais avoir à souffrir ensuite ? Est-ce le moment de faire quoi que ce soit, étant hors d'esprit, qui me rendrait très triste une fois revenu à moi ? Pourquoi ne pas obtenir par la raison, par la piété, oui, pourquoi Christ n'obtiendrait-Il pas de moi ce que le temps obtiendra de moi de toute façon ? ».

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Si un homme est traité d'adultère, d'usurier, d’ivrogne, ou de toute autre appellation honteuse, qu'il considère sérieusement si ces qualifications sont vraies ou fausses. Si elles sont vraies, qu'il s'amende de sa faute, afin que son adversaire ne l'accuse ensuite justement avec ces injures. Si elles sont fausses, qu'il se demande s'il a prêté le flanc à la critique ; et alors il peut couper court à la suspicion si cette calomnie est soulevée, et il sera plus méfiant à l'avenir. Et en procédant ainsi, nous n'en serons pas blessés, mais nous tirerons plutôt un bienfait pour nous des réprimandes et des calomnies de notre ennemi. Car les reproches d'un ennemi sont pour beaucoup d'hommes un aiguillon plus efficace pour amender leur vie que les gentils conseils d'un ami. Philippe, roi de Macédoine, quand les chefs de la cité d'Athènes dirent du mal de lui, les a remerciés de tout cœur, parce que grâce à eux, il est devenu meilleur en paroles et en en actes : « Car je fais plus attention », dit-il, « à ce que je dis et à ce que je fais pour prouver qu'ils mentent ».

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{31} 3. Vous avez entendu dans le dernier sermon sur la dispute et la bagarre, comment nous pouvons répondre à ceux qui nous agressent, et que se venger ne mène à rien de bon, et finalement comment nous pouvons nous comporter selon la volonté de Dieu, et comment nous pouvons les considérer, quand nous sommes provoqués à a dispute et à la bagarre par des mots durs. Maintenant, pour continuer sur le même sujet, vous allez apprendre la bonne façon de désapprouver votre adversaire et ennemi en le dominant.

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Voici la meilleure façon de réfuter un adversaire : Vivre de telle façon que tous connaissent votre honnêteté et puissent témoigner qu'on est calomnié injustement. Si celui qui est calomnié a fait une faute et que pour se défendre il doive répondre, qu'il réponde calmement et avec douceur de manière à ce que cette faute porte à faux. Car il est vrai que le sage a dit : « Une réponse douce apaise la colère, et une réponse dure soulève la rage et la furie ». La réponse dure de Nabal a incité David à se venger cruellement, mais les douces paroles d'Abigail ont éteint l'incendie, car il était tout en feu. Et un remède spécial contre les langues malicieuses est de s'armer de patience, de douceur et de silence, afin d'éviter qu'en multipliant les mots avec l'ennemi nous devenions pires que lui.

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Mais ceux qui ne supportent pas même un seul mot méchant, allégueront peut-être pour s'excuser qu'il est écrit : « Celui qui méprise sa bonne renommée est cruel ». Nous lisons aussi : « Réponds à l'idiot selon son idiotie ». Et notre Seigneur Jésus S'est retenu pacifiquement quand on Lui adressait des paroles méchantes, mais Il a parfois répondu sèchement. Il a entendu des hommes Le traiter de « Samaritain, fils de charpentier, buveur de vin » et Il est resté pacifique ; mais quand Il les a entendu dire : « Tu as un démon en toi », Il a vivement répondu à cela.

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La vérité est en fait qu'il il y a des moments où il convient de « répondre à un idiot selon son idiotie », afin qu'il ne s'imagine pas être sage. Et quelquefois, « répondre à un idiot selon son idiotie » n'est d'aucun profit, afin que l'homme sage ne soit pas pris pour un idiot lui aussi. Quand notre infamie (ou le reproche qui nous est fait) entraîne un péril pour d'autres, il est alors nécessaire d'être prêt à répondre immédiatement. Car nous lisons que de nombreux saints zélés ont répondu violemment et véhémentement à des tyrans et à des hommes méchants, et leurs paroles acérées ne venaient pas de la colère, ni de la rancœur, ni de la malice ou du désir de vengeance, mais d'un fervent désir de les amener à la vraie connaissance de Dieu en les détournant de leur conduite impie, par des reproches et une réprimande piquante. Avec cette sorte de zèle, St Jean Baptiste a traité les Pharisiens de « race de vipères » ; et St Paul a traité les Galates de « stupides » ; et les Crétois de « menteurs, mauvaises bêtes » et de « ventres paresseux » ; et il appelait les faux apôtres des « chiens » et des « ouvriers rusés ». Et ce pieux zèle est appréciable, comme il est pleinement prouvé par l'exemple de Christ, qui, bien qu'Il fût la source de toute douceur, gentillesse et aménité, a cependant traité les scribes et Pharisiens obstinés de «guides aveugles, sots, sépulcres blanchis, hypocrites, serpents, vipères », et de « génération corrompue ». Il a même réfuté Pierre aigrement, en disant : « Passe derrière Moi, Satan ». De la même manière, St Paul a réprimandé Elymas, en disant : « Ô toi qui es plein de ruse et d'astuce, ennemi de toute justice, tu ne cesses pas de détruire les justes voies de Dieu ; regarde, maintenant, la main du Seigneur est sur toi et tu seras aveugle pour un temps ». St Pierre aussi a repris Ananias très durement, en disant : « Ananias, comment se fait-il que Satan ait rempli ton cœur, et que tu mentes au Saint-Esprit ? ».

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Ce zèle était si fervent chez de nombreux hommes de bien qu'il les a poussés non seulement à proférer des paroles amères et aigres, mais aussi à faire des choses qui pourraient sembler cruelles à certains, mais qui étaient en fait très justes, charitables et pieuses, parce qu'elles n'étaient pas faites sous le coup de la colère, de la malice, ni dans un esprit de dispute, mais avec la fervente pensée de glorifier Dieu et de corriger le péché, par des hommes appelés à cet office. Car avec ce zèle notre Seigneur Jésus-Christ a éconduit les marchands du temple. Avec ce zèle, Moïse a brisé les deux tables qu'il avait reçues de la main de Dieu quand il a vu les Israélites danser autour du veau d'or, ce qui a causé la mort de 23.000 de ses propres compatriotes. Avec ce zèle, Phinéas, fils d'Éléazar, a transpercé de son épée Zimri et Cozbi, qu'il a trouvés ensemble, unis dans un acte luxurieux.

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C'est pourquoi, pour répondre à des paroles méchantes, spécialement en matière de religion et à propos de la Parole de Dieu, qui devrait être employée en toute modestie, sobriété et charité, les paroles de St Jacques doivent être bien notées et gardées en mémoire, quand il a dit que les disputes sont soulevées par le malin. Et les sages paroles du Roi Salomon disant « L'honneur est dû à un homme qui se garde de la dispute et tous ceux qui s'en mêlent sont des sots ». Et parce que ce vice fait tant de mal à la société d'une communauté, dans toutes les cités bien ordonnées ces bagarreurs et calomniateurs habituels sont punis d'une peine notable, comme d'être mis sur la chaise plongeante à bascule, au pilori ou d'autres peines du genre. Et ceux qui s'oublient au point de se bagarrer, de calomnier, de troubler la paix et la tranquillité publiques ne méritent pas de vivre en société. Et d'où viennent ces disputes, ces conflits et des désaccords, sinon de l'orgueil et de la vaine gloire ? « Humilions-nous devant la puissante main de Dieu » qui a promis de bénir ceux qui sont humbles et dont l'esprit est modéré. Si nous sommes de bons Chrétiens, calmes, que cela apparaisse dans notre discours et notre façon de parler. Si nous avons renoncé au diable, renonçons à être de mauvaises langues. Celui qui a été un bagarreur rugissant, qu'il soit désormais un conseiller sobre. Celui qui a été un calomniateur, qu'il soit désormais un enseignant spirituel. Celui qui a abusé de sa langue en maudissant, qu'il s'en serve désormais pour bénir. Celui qui a abusé de sa langue pour dire du mal, qu'il s'en serve désormais pour dire du bien. « Évitez toute amertume, colère, lutte et blasphème ». Si vous en êtes capables, et si c'est possible, ne soyez jamais en colère, d'aucune manière. Mais si vous ne pouvez pas être libéré de cette passion, alors tempérez-la et mettez-la en bride afin qu'elle ne vous entraine pas à la dispute ni à la bagarre. Si on vous provoque en parlant mal, armez-vous de patience, de sérénité et de silence ; soit en ne disant rien, soit en étant très calme, doux et gentil en répondant. Surmontez vos adversaires avec de la gentillesse et des cadeaux. Et par-dessus tout, gardez l'unité dans la paix ; ne soyez pas des briseurs de paix mais des faiseurs de paix. Alors, il n'y a aucun doute que Dieu, l'auteur et le consolidateur de la paix, nous donnera la paix dans notre conscience et un tel accord dans la concorde, « que nous glorifions Dieu d'une seule bouche et d'un seul esprit le Père de notre Seigneur Jésus-Christ ». À qui soit toute gloire, maintenant et éternellement. Amen.

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