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6-De la Charité

I-6. De l'amour chrétien et de la Charité

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{14} 1. De toutes les bonnes choses à enseigner aux Chrétiens, aucune n'est aussi nécessaire et digne d'être rappelée quotidiennement que la charité, aussi bien parce que toutes les œuvres bonnes en relèvent que parce que sa décadence produit la ruine du monde, le bannissement de la vertu et cause tous les vices. Et pour autant que presque chaque homme se fabrique et définit une charité d'après ses désirs, et que sa vie ainsi réglée est détestable à la fois à Dieu et aux hommes, il se persuade lui-même qu'il a la charité ; c'est pour cette raison que vous allez maintenant entendre une description véridique et exhaustive de la charité, fondée non pas à partir de l'imagination des hommes mais sur les paroles et l'exemple de notre Sauveur Jésus-Christ. Dans cette exposition, tout homme, comme s'il était de verre, pourra se considérer et voir clairement et sans erreur s'il est dans la vraie charité ou non.

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La charité, c'est d'aimer Dieu de tout notre cœur, de toute notre vie et de toutes nos forces, de tout notre cœur, cela veut dire que notre cœur, notre volonté et notre étude sont dédiés à croire Sa Parole, à Lui faire confiance et à L'aimer plus que toutes autres choses, même celles que nous aimons le plus dans le ciel comme sur la terre. Toute notre vie, c'est à dire que notre joie et notre délice suprême sont tournés vers Lui et Son honneur, et que toute notre vie est adonnée à Son service par-dessus tout, pour vivre et mourir avec Lui, en abandonnant tout ce qui n'est pas Lui, car « Celui qui aime son père ou sa mère, son fils ou sa fille », sa maison ou sa terre, « plus que Moi », dit Christ, « n'est pas digne de Moi ». De toutes nos forces, cela veut dire qu'avec nos mains et nos pieds, nos yeux et nos oreilles, notre bouche et notre langue, et avec toutes les autres parties de notre corps et de notre âme, nous devrions être adonnés à garder et à accomplir Ses Commandements. Ceci est le premier et principal aspect de la charité, mais ce n'en est pas le tout, car la charité consiste également à aimer tous les hommes, les bons et les méchants, les amis et les ennemis, en dépit de tous les arguments contraires qui pourraient surgir, et de vouer néanmoins un bon cœur et une bonne volonté à chaque homme, de nous employer à les servir aussi bien en paroles que par notre comportement dans tous nos actes extérieurs. Car Christ l'a lui-même enseigné et l'a aussi accompli dans les faits.

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Sur l'amour de Dieu, il a enseigné de cette manière à un docteur de la Loi qui lui demandait quel était le plus grand et le principal Commandement de la Loi. « Tu aimeras ton Dieu », dit Christ, « de tout ton cœur, de toute ta vie et de tout ton esprit ». Et sur l'amour que nous devrions ressentir parmi nous les uns pour les autres, Il nous a enseigné ainsi : « Vous l'avez entendu enseigner dans le passé : tu aimeras ton ami et détestera ton ennemi, mais Je vous dis : aimez vos ennemis, dites du bien de ceux qui vous diffament et disent du mal de vous, faites du bien à ceux qui vous détestent, priez pour ceux qui vous vexent et vous persécutent, afin que vous soyez des enfants de votre Père qui est dans les cieux. Car Il fait lever son Soleil sur les méchants comme sur les bons, et Il envoie la pluie sur les justes comme sur les injustes. Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense en avez-vous ? Les publicains n'en font-ils pas autant ? Et si vous dites du bien seulement de vos frères et de vos amis bien-aimés, est-ce une si grande affaire ? Les païens n'en font-ils pas autant ? ». Ce sont là les paroles mêmes de Christ notre Sauveur en personne, sur l'amour de notre prochain. Et les Pharisiens, avec leurs traditions pestilentielles, leurs fausses interprétations et leur glose ont corrompu et pratiquement tari la pure source de la Parole vivante de Dieu, ils enseignent que cet amour et cette charité sont destinés seulement aux amis et qu'il suffit à l'homme d'aimer ceux qui l'aiment, tout en détestant ses ennemis ; ajoutant que cela nous est très commode et que faire le contraire nous est fort incommode. Que pouvons-nous désirer de mieux que le Père éternel nous adopte comme Ses enfants ? Et nous en sommes assurés, dit Christ, si nous aimons tous les hommes sans exception. Autrement, dit-Il, nous ne sommes pas meilleurs que les Pharisiens, les publicains et les païens, et nous aurons notre récompense avec eux, en étant exclus du nombre des élus et de Son héritage éternel dans le ciel.

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Ainsi en est-il de la vraie charité que Christ a enseignée : Tout homme doit aimer Dieu par-dessus toute autre chose, et aimer tous les hommes, amis et ennemis. Et Lui-même a agi de la sorte, exhortant ses adversaires, réprimandant leurs fautes, et s’Il ne parvenait pas à les amender, Il priait pour eux. Il aimait d'abord Dieu Son Père par-dessus toutes choses, au point de ne pas rechercher Sa propre gloire ni Sa propre volonté, mais la volonté et la gloire de Son Père. « Je ne cherche pas », dit-Il, « Ma volonté, mais la volonté de Celui qui M'a envoyé ». Il ne refusait pas non plus de mourir pour satisfaire à la volonté de Son Père, en disant : « S'il en est ainsi, que cette coupe de mort s'éloigne de Moi ; sinon, que Ta volonté soit faite et pas la mienne ». Il aimait également, non seulement Ses amis mais aussi Ses ennemis qui avaient dans le cœur une haine excessive contre Lui et dont les langues ne disaient que du mal de Lui ; et par leurs actes ils Le persécutaient de tout leur pouvoir et de toutes leurs forces, jusqu'à Le faire mourir. Malgré tout cela, Il ne leur retira pas Son affection mais Il les aimait, leur prêchait, et corrigeait par amour leurs fausses doctrines, leurs mauvaises mœurs, et Il leur faisait du bien, supportant patiemment tout ce qu'ils pouvaient Lui dire ou Lui faire. Quand ils Lui adressaient des paroles méchantes, Il ne répondait pas; quand ils le frappaient, Il ne les frappait pas en retour ; et quand Il a souffert la mort Il ne les a pas tués ni menacés, mais Il a prié pour eux et S'en est remis pour tout à la volonté de Son Père. Et comme un mouton est emmené à l'abattoir pour être tué, comme un agneau qui est dépouillé de sa toison se tait et n'oppose aucune résistance, Il est allé à la mort sans y répugner ni ouvrir la bouche pour protester.

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Je vous ai ainsi décrit ce qu'est la charité, aussi bien la doctrine que par l'exemple de Christ Lui-même. Ainsi, chaque homme peut, sans erreur, savoir dans quel état et condition il se trouve, s'il est dans la charité, et donc un enfant du Père céleste, ou non. Car bien que presque tous les hommes se sont persuadés d'être dans la charité, ne les laissons pas examiner les autres, mais scruter leur propre cœur, leur propre vie et leur conversation, et ils ne seront pas trompés, mais ils discerneront vraiment et jugeront s'ils sont dans la charité parfaite ou non. Car celui qui ne suit pas ses propres appétits et sa volonté, mais se donne sincèrement à Dieu, pour faire toute Sa volonté et Ses Commandements, est assuré qu'il aime Dieu par-dessus toute autre chose ; autrement, il est sûr qu'il ne L'aime pas, quoiqu'il en dise. Comme Christ l'a dit : « Si vous M'aimez, gardez Mes Commandements ». Car « celui qui connaît Mes Commandements et les garde, c'est celui  qui M'aime », dit Christ. Et Il dit encore : « Celui qui M'aime gardera Ma Parole et mon Père l'aimera et Nous viendrons tous les deux à lui et Nous demeurerons avec lui ». Et « Celui qui ne M'aime pas ne gardera pas Mes Paroles ». Et ainsi, celui qui a un bon cœur et un bon esprit, et qui se sert de sa langue pour le bien et fait du bien à tous, amis et ennemis, sait par là qu'il a la charité. Et alors, il est également assuré que le Dieu Tout-Puissant l'adopte comme Son fils bien-aimé, comme St Jean l'a dit : « Par ceci nous savons qui sont les enfants de Dieu et qui sont les enfants du diable : quiconque n'aime pas son frère n'appartient pas à Dieu ».

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{15} 2. Vous avez entendu une description claire et profitable de la charité, et combien cette charité est nécessaire ; comment la charité s'étend aussi bien à Dieu qu'aux hommes, amis et ennemis, et ceci par la doctrine et par l'exemple de Christ ; et aussi qui peut se certifier à lui-même s'il est dans la charité parfaite ou non. Maintenant, poursuivons sur le même sujet.

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La nature perverse de l'homme, corrompu par le péché et destitué de la Parole et de la grâce de Dieu, lui fait penser qu'il est contraire à la raison qu'un homme aime son ennemi, et le persuade même du contraire. Nous devons viser toutes ces raisons dans notre enseignement d’après la vie de Christ notre Sauveur, qui, nous aimant alors que nous étions ses ennemis, nous a enseigné à aimer nos ennemis. Il a patiemment subi pour nous de nombreux reproches, Il a souffert les fouets et la plus cruelle des morts. C'est pourquoi nous ne sommes pas de Ses membres si nous ne Le suivons pas. « Christ », dit St Pierre, « a souffert pour nous, nous laissant un exemple pour que nous Le suivions ». De plus, nous devons considérer qu'aimer nos amis n'est pas mieux que ce que font les voleurs, adultères, homicides et tous les gens méchants, et même les Juifs, les Turcs, les infidèles et toutes les brutes et les bêtes aiment leur amis, de qui ils reçoivent leur existence et d'autres avantages ; mais aimer ses ennemis est la condition propre des seuls enfants de Dieu, les disciples et imitateurs de Christ.

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Nonobstant, la nature corrompue de l'homme pèse beaucoup plus lourd dans la balance que les offenses et désagréments causés par ses ennemis, et songez que c'est un fardeau intolérable que d'avoir à aimer ceux qui nous détestent. Mais le fardeau est assez léger si chacun considère ce qu'il a fait de mal à son ennemi, et quel plaisir il en a reçu. Et si nous ne trouvons pas juste de recevoir des choses agréables de notre ennemi ni de lui rendre la pareille, méditons alors les désagréments que nous avons procurés à Dieu Tout-Puissant, combien souvent et gravement nous L'avons offensé ; de telle sorte que si nous voulons avoir le pardon de Dieu, il n'y a pas d'autre remède que de pardonner les offenses qui nous sont faites, qui sont très petites en comparaison de nos offenses à Dieu. Et si nous considérons que celui qui nous a offensés ne mérite pas notre pardon, considérons encore que nous méritons encore moins d'être pardonnés par Dieu. Et bien que notre ennemi ne mérite pas de soi d'être pardonné, nous devons lui pardonner pour l'amour de Dieu, en voyant les nombreux et grands bénéfices que nous avons reçus de Lui sans les avoir mérités, et que Christ a mérités pour que pour l'amour de Lui nous pardonnions à nos ennemis leurs transgressions contre nous.

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Mais ici, une question surgit qu'il faut résoudre. Si la charité requiert de penser, de parler, et de faire du bien à tout homme, aux bons comme aux méchants, comment les Magistrats peuvent-ils exécuter la justice contre les malfaisants avec charité ? Comment peuvent-ils jeter des méchants en prison, confisquer leurs biens et leur ôter parfois la vie, selon les lois, si la charité les en empêche ?

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Voici une réponse aussi claire que brève : les épidémies et les jugements de Dieu ne sont pas des maux s'ils sont pris en bonne part par des innocents ; et pour un méchant homme ils sont à la fois bons et nécessaires, et peuvent être exécutés selon la charité et avec charité.

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De cette déclaration, vous comprenez que la charité a deux fonctions opposées, et les deux sont nécessaires aux hommes de dispositions contraires. Une des fonctions de la charité est de chérir le bien et les bienfaisants, de ne pas les oppresser avec de fausses accusations, mais de les encourager avec des récompenses à faire le bien et à persévérer dans le bien, en les défendant de leurs adversaires avec l'épée. Et le rôle des évêques et des pasteurs est de louer les hommes de bien pour le bien qu'ils font, afin qu'ils persévèrent ainsi, et de réprouver et de corriger par la Parole de Dieu les offenses et les crimes de toutes les personnes disposées au mal. Car l'autre fonction de la charité est de réprouver, de corriger et de punir le vice sans acception de personnes, et ceci, uniquement contre les méchants et les malfaisants. Et c'est aussi la fonction de la charité de réprouver, de punir et de corriger les méchants, comme de chérir et de récompenser ceux qui sont innocents et bons ; St Paul a déclaré aux Romains que « Les hautes autorités sont ordonnées de Dieu », pas pour être craintes de ceux qui font le bien, mais de ceux qui font le mal, et pour tirer l'épée « pour tirer vengeance sur celui qui a commis le péché ». Et St Paul supplie Timothée de réprouver le péché, constamment et véhémentement, par la Parole de Dieu. De telle sorte que les deux fonctions doivent être appliquées avec soin pour lutter contre le royaume du diable, aussi bien le prédicateur avec la Parole que le gouverneur avec l'épée, sans quoi ils n'aiment ni Dieu ni ceux qu'ils gouvernent, si par trop d'indulgence ils tolèrent volontairement que Dieu soit offensé et que ceux qu'ils gouvernent périssent.

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Car comme tout père aimant corrige son fils quand il fait mal, ou c'est qu'il ne l'aime pas, tous les gouverneurs de domaines, de pays, de villes et de maisons devraient corriger avec amour les méchants qui relèvent de leur ressort, et chérir ceux qui vivent sans faire de mal, s'ils ont tant soit peu de respect pour Dieu et pour leur charge, ou d'amour pour ceux dont ils ont la charge. Et de telles réprimandes et punitions contre ceux qui offensent doivent être faites en temps et en heure, afin que le délai s'allongeant, les offenseurs ne tombent entièrement dans toutes sortes de sottises, et non seulement deviennent pires, mais encore ne fassent de nombreuses autres victimes, attirant les autres par leur mauvais exemple dans le péché et l'outrage ; comme un voleur peut à la fois dérober beaucoup de gens et faire de nombreux adeptes, et un séditieux peut séduire une foule de gens et nuire à une ville ou à un pays tout entier. Et la charité requiert que de telles personnes méchantes qui offensent Dieu et le bien commun si grandement, soient retranchées de la communauté, afin qu'elles ne corrompent pas d'autres personnes bonnes et honnêtes ; comme un bon chirurgien ampute un membre putréfié et infecté pour l'amour du corps tout entier, de peur qu'il n'infecte d'autres membres, de proche en proche.

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Ainsi, vous avez entendu ce qu'est la vraie charité et le véritable amour chrétien, si clairement que nul ne se trompe à ce sujet. Lequel amour on doit garder non seulement envers Dieu, qu'on doit aimer par-dessus toute chose, mais aussi envers son prochain, qu'il soit ami ou ennemi, et cela nous préservera sûrement de toute offense à Dieu et aux hommes. Prenez donc de la graine de cette courte leçon, que par une vraie charité chrétienne, Dieu doit être aimé au-dessus de toute autre chose et que tout homme doit être aimé, qu'il soit bon ou mauvais, ami ou ennemi, et à nous-mêmes nous devons faire du bien, selon notre capacité ; et ceux qui sont bons, aimons-les pour les encourager et les chérir pour leur bonté ; et ceux qui sont méchants, aimons-les pour les corriger et les punir, afin qu'ils soient ou bien ramenés à la bonté, ou bien qu'au moins Dieu et le bien commun en soient moins offensés et blessés.

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Et si nous dirigeons ainsi nos vies par l'amour chrétien et la charité, alors Christ nous promet et nous assure qu'Il nous aime, que nous sommes les enfants de notre Père céleste, réconciliés dans Sa faveur, membres de Christ, et qu'après cette courte vie présente et mortelle, nous aurons avec Lui une vie éternelle dans son éternel royaume du ciel. C'est pourquoi, à Lui, avec le Père et le Saint-Esprit, soient tout honneur et toute gloire, maintenant et éternellement. Amen.

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